Le génome préhistorique de la chèvre révèle une domestication en mosaïque dans le Croissant Fertile
Domestiquées depuis 10 500 ans au Proche et au Moyen-Orient, l’origine des chèvres était encore le sujet de bien des mystères jusqu’à ce qu’une collaboration internationale de paléogénéticiens et d’archéozoologues impliquant des chercheurs du CNRS, du MNHN et de l’UGA (1) montre la co-existence de plusieurs foyers de domestication de chèvres provenant de lignées différentes dans le Croissant fertile. Ces résultats ont été publiés dans Science, le 6 juillet 2018.
La chèvre est parmi les plus anciennes espèces d’ongulés domestiquées au monde, il y a 10,500 ans au Proche- et au Moyen-Orient. Elle fut ainsi l’une des premières sources de laits et de produits laitiers dans l’alimentation des humains adultes.
Jusqu’ici, les données archéologiques et génétiques disponibles pour reconstruire le début de son processus de domestication étaient ambiguës. On se demandait en particulier si la domestication des caprins résultait d’un évènement unique dans une région bien précise, où bien de différents évènements dans plusieurs endroits, dans un intervalle de temps resserré.
C’est grâce aux stupéfiantes avancées technologiques de la biologie moléculaire permettant de reconstruire les génomes d’animaux disparus à partir de l’ADN récupéré d’ossements fossiles, que vient d’émerger la réponse à cette question, grâce à une étude menée conjointement par les paléogénéticiens du Smurfit Institute of Genetics du Trinity College de Dublin (Irlande), les archéozoologues du CNRS et du MNHN et les généticiens du CNRS et de l’Université Grenoble Alpes en étroite collaboration, entre autres, avec le Musée National d’Iran et financé par le projet ERC CodeX. Des données génomiques ont été produites pour 83 chèvres préhistoriques du Proche- et du Moyen-Orient (dont 51 avec des génomes complets) ayant vécu entre la fin des temps glaciaires et le Moyen Âge. Les résultats démontrent que plusieurs souches de chèvres préhistoriques sauvages (chèvre à bézoar ou chèvre aegagre) ont été domestiquées au cours d’un processus complexe impliquant plusieurs régions distinctes. Ainsi, au Néolithique, il existait au moins trois lignées domestiquées d’origines différentes, une au Levant sud, une en Anatolie et une sur le Plateau iranien. Cette découverte fait écho à la divergence, au même moment, des populations humaines de la région, démontrée par une autre recherche menée par les archéozoologues du CNRS/MNHN, et publiée dans le même prestigieux périodique, il y a 18 mois (Broushaki et al 2016 Science). Les premières populations de chèvres contribuèrent différemment aux populations modernes d’Asie, d’Afrique et d’Europe. L’analyse des séquences d’ADN ancien révèle aussi qu’il y a 8000 ans les agro-pasteurs du Proche- et Moyen-Orient ont contribué à modeler le génome de la chèvre, partenaire inséparable de l’homme, par des sélections portant sur la couleur du poil, sur la stature, sur la productivité laitière, sur la réponse au stress alimentaire et sur les capacités de reproduction.
Référence :
K.G. Daly et al. (2018) Ancient goat genomes reveal mosaic domestication in the Fertile Crescent. Science, DOI : 10.1126/science.aau1306
Contact LECA :
François Pompanon : francois.pompanon univ-grenoble-alpes.fr
(1) Laboratoires français ayant participé à l’étude :
– Archéozoologie, archéobotanique : sociétés, pratiques et environnements (CNRS/MNHN)
– Laboratoire d’Ecologie Alpine (Univ. Grenoble Alpes/Univ. Savoie Mont-Blanc/CNRS)